Peter Handke

  
Lorsque l'enfant était enfant,
il marchait les bras ballants,
il voulait que le ruisseau soit rivière
et la rivière, fleuve,
que cette flaque soit la mer.
Lorsque l'enfant était enfant,
il ne savait pas qu'il était enfant,
tout pour lui avait une âme
et toutes les âmes étaient une.
Lorsque l'enfant était enfant,
il n'avait d'opinion sur rien,
il n'avait pas d'habitudes,
il s'asseyait souvent en tailleur,
démarrait en courant,
avait une mèche rebelle
et ne faisait pas de mine
quand on le photographiait.

Lorsque l'enfant était enfant,
les pommes et le pain
suffisaient à le nourrir,
et il en est toujours ainsi.
Lorsque l'enfant était enfant,
les baies tombaient dans sa main
comme seules tombent les baies,
et c'est toujours ainsi,
les noix fraîches
lui irritaient la langue,
et c'est toujours ainsi,
sur chaque montagne, il avait le désir
d'une montagne encore plus haute
et dans chaque ville, le désir
d'une ville plus grande encore,
et il en est toujours ainsi,
dans l'arbre, il tendait le bras
vers les cerises,
exalté
comme aujourd'hui encore,
é tait intimidé par les inconnus
et il l'est toujours,
il attendait la première neige
et il l'attend toujours.

Lorsque l'enfant était enfant,
il a lancé un bâton contre un arbre,
comme une lance,
et elle y vibre toujours.


(Texte et photographie extraits du film de
Wim Wenders : Les ailes du désir .)